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Seuil d'incompétence

  • mccaillet
  • 8 oct.
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 10 oct.

Aurais-je atteint le mien ? 3 hypothèses, 1 solution. Ou quand le burn-out pointe le bout de son nez.

J’ai 38 ans quand je commence à me questionner sur ce que je traverse alors.


Un diplôme d’avocate en poche, et un doctorat en droit, je suis habitée depuis mes 23 ans — obsédée, même — par un sujet : la responsabilité des entreprises multinationales et l'impact de ces organisations de production sur les humains et la nature.


Ou comment faire ouvrir les yeux sur les effets délétères de la manière dont nous avons organisé le commerce mondial autour de deux principes :


  • l’ultra-libéralisme d’une part (c’est-à-dire la levée de toute contrainte aux échanges)

  • et le capitalisme comme religion absolue d'autre part (avec en son cœur : la croissance à tout prix).


Bref, tout ça était passionnant…mais à ce moment-là, une surprise m'attendait : un sentiment d’ennui, totalement inattendu. 

Oui, de l'ennui. Était ce vraiment possible quand on travaille sur de tels enjeux ??


Hypothèse n° 1 :


Ma mission (auto-proclamée) serait-elle arrivée à son terme ? Ce qui impliquerait que les multinationales soient toutes devenues responsables ?


Inutile de répondre à cette question : la réponse est évidente.


Alors pourquoi, après tant d’années d’engagement, d’énergie investie à tenter de transformer ce système, étais-je là, assise à ce bureau… à… m’ennuyer ?


Je cherchais des réponses.


On m'avait alors prêté un livre qui s’intitule le Principe de Peter. Je découvre ce livre qui d’abord me fait rire, puis me questionne.


Selon ses auteurs, dans toute organisation hiérarchique la récompense passe par la promotion.


Le paradoxe naît du fait que cette promotion récompense des compétences, qui ne seront souvent plus utilisées au nouveau poste promu. Et ainsi de suite.


Ce système conduit à aller peu à peu vers un poste dans lequel la personne sera moins compétente et donc sans promotion, restant ainsi, à un moment donné, bloquée à son seuil d’incompétence.


Selon cette théorie, ce type d’organisation conduit donc les personnes à se diriger vers leur seuil d’incompétence, ce qui expliquerait que nous retrouvions des personnes avec peu de compétences à des postes hiérarchiquement importants, dans ce type d’organisation.


Si à première vue cette logique peut faire sourire, elle a fait l’objet d’études universitaires très sérieuses depuis les années 1970.


Hypothèse n°2 :


Bizarrement, cette théorie raisonnait alors en moi car je me suis toujours demandée pourquoi le principe même de promotion n'allait souvent que dans le sens de la verticalité et non dans celui de l’horizontalité ?


Après un auto-scan, je réalise que mes expériences m’ont plutôt conduite à changer de métier, à découvrir de nouveaux outils et de nouveaux cadres de références, non pas tant suite à des promotions, qu'à des évolutions de centre d’intérêts, au sein d’organisations très peu hiérarchisées (donc sans risque a priori de promotion de ce type).


Je finis par souffler, soulagée de me dire que je ne suis pas concernée par Peter. 

(A ne pas confondre avec le syndrome de Peter Pan, qui est tout à fait différent ! Bref, je m’égare).


Cette première piste étant mise de côté, je cherchais toujours la réponse à ce que je ressentais : pourquoi ce sentiment d'ennui ? 


Un sentiment de vide. La perte de cet élan, celui de vouloir faire avancer les choses. La sensation de me perdre dans une enquête impossible à résoudre.


J’avais cru — naïvement — qu’en comprenant "le système", on finirait par trouver la solution miracle. À l’image de Rousseau (oui, rien que ça…), qui interrogeait la nature de l’État, je voulais comprendre comment fonctionnait le commerce international et la construction de ces inégalités et de ces systèmes de domination de certains peuples sur d’autres.


Je n’avais pas tout de suite perçu que ce que je pensais être une enquête était en réalité un combat. Un combat de culture, d'idées, de points de vue. Un combat politique.

N’étais-je finalement pas en train de mener une enquête impossible à résoudre ? J'avais plongé dans la marmite, sans trop prendre le temps d'observer ce que je combattais.


Et me voilà à 38 ans, tiraillée entre l’envie d’aller faire pousser mes tomates, de tout envoyer balader, et celle de rester cohérente avec les convictions que je m'étais forgées (et surtout les compétences et les connaissances que j'avais durement acquises !).


Toutes ces années à disséquer, analyser, étudier les cadres d’organisation et de décisions.


Tout ça pour quoi ?


POUR ALLER FAIRE POUSSER DES TOMATES ???


Continuant mon auto-scan, je réalise que ce n’est finalement pas tant de l’ennui que je ressens que du détachement. 


Là où mon moteur tournait avant 7 jours sur 7, je ne ressens plus grand-chose. Je me sens peu à peu éteinte. Je me raccroche de temps en temps à des branches qui me redonnent un peu d'élan. Mais ce ne sont finalement que des petits espaces ; des soubresauts de respiration pour ne pas flancher. Pour tenir.


Tenir quoi déjà ?


Les situations d’injustices que j’étudie ne me font plus rien. Plus d’indignation. Les discours égoïstes et aveugles ne m’activent plus. Les décisions dépourvues de bon sens m'indiffèrent.


Hypothèse n°3 :


J’ai atteint un seuil d’éveil ! 


Mes heures de yoga et de médiation m’ont permis une prise de recul telle que mes émotions sont désormais à distance. Elles ne me contrôlent plus. Enfin !!


Cette hypothèse n’a évidemment duré que quelques minutes.


Peu à peu je réalise que je ressens même du cynisme.


Mon optimisme naturel, moteur, s’est envolé. Bye bye. Au moins, on ne pourra plus me le reprocher.


C’est quand même dommage. C’était bien pratique dans bon nombre de situations, pour ne pas baisser les bras !


18 mois plus tard, essayant tant bien que mal de retrouver des sources d’élan, de moteur, de motivation, c’est mon cerveau qui commence à me jouer des tours.


Des pertes de mémoires. Des mots à la place d’autres.


Une perte d’attention de plus en plus handicapante. Je deviens une impostrice de moi-même. Comme si mes compétences me lâchaient peu à peu.


Sans batterie et sans outils, je fais comment moi pour travailler ?

Sans cerveau, elle est où mon identité ?


Et à un moment donné, c’est le corps qui fini par lâcher. Trop fatigué d’avoir lutté.


Lutté pour m’accrocher à mon identité de combattante malgré les signaux ; lutté pour changer le monde.


Réponse :


Et un jour on m’explique. Burn-out.


Brûlée d’avoir voulu aller au bout. Au bout de quoi ?


D’un mur.


Aujourd’hui, je sais que les raisons de cet épuisement ne se trouvent pas uniquement dans mon militantisme, mais dans la combinaison d’un mode de fonctionnement personnel et de cadres d’organisations dysfonctionnels. Mais ça, ça fera l’objet d’un autre article.


Il m’aura fallut du temps pour écouter et accepter.

La bonne nouvelle c’est que les signaux aujourd’hui, je les écoute, que l’ennui, le cynisme et le détachement, je ne les ressens plus (en tout cas pour le moment). Et surtout, que mon optimisme est revenu !


Il en aura fallut du temps pour apprendre à écouter les signaux, et à savoir leur faire une place.


Finalement, ma première hypothèse n'était pas si mauvaise : J'avais bien atteint un seuil d'incompétence.


Mais pas celui de Peter.



Ressources :

  • Burn out militant : Comment s'engager sans se cramer, Hélène Balazard, Simon Cottin, Payot, éd. Payot, 2025

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  • Le principe de Peter : Pourquoi tout employé tend à s'élever jusqu'à son niveau d'incompétence, Raymond Hull, Laurence J. Peter, éd. J'ai Lu.

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Autres références sur le Burn out :


Conférence gesticulée « Désenvoutement, ou le néolibéralisme va-t-il mourir et comment faire pour que ça aille plus vite ? », du même titre que son livre, Marie-Laure Guislain, éd. Atelier Ed de L'.

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  • Et pour trouver des solutions, il y aussi des personnes qui proposent de supers accompagnements pour prévenir tout ça et garder son sens, comme celui de Mon Job de Sens

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